Est-ce de Cabu ou de Gotlib ? Je me souviens d’un dessin ou l’on voit un prof de math bluffer ses élèves en traçant à main levée un cercle parfait à la craie sur le tableau noir. L’air de rien, tout est dit : perfection de la forme ; virtuosité de l’exécution. Car le rond, le cercle, la sphère appartiennent à la symbolique de la perfection, de la pureté, de la complétude, de l’infini sans début ni fin. Toutes les cultures du monde en ont fait, en ont dit quelque chose. Pour l’histoire de l’art occidental c’est la « forme Renaissance » par excellence mais pour Scanreigh c’est une des formes « renaissantes» marquant le tournant dans sa démarche artistique. Le tondo s’est installé durablement dans son travail au début des années 90.
La forme s’est dégagée d’elle-même du démembrement du bois des palettes à la scie sauteuse, ces palettes glanées dans les locaux industriels qui abritaient son atelier et que Scanreigh s'est mis à découper, restructurer pour en faire des tableaux. Que la forme circulaire – avec toute sa charge symbolique – surgisse chez lui sans vergogne de manière mal dégrossie est éloquent. Il y a dans le dépeçage des palettes parallélépipédiques une quadrature du cercle intime à résoudre dans laquelle les lattes, les «bandes», cassées, déplacées, sont aussi celles qui rythmaient les toiles abstraites de la «première manière».
Scanreigh est un extracteur de formes, geste qui procède souvent d'une vision paréidolique de la réalité. Dans sa manière de fabriquer les supports pour sa peinture, dans sa manière de graver le lino, le bois, laissant le trait de l'outil lui suggérer un dessin, il réitère le geste qui l'a amené à extirper des figures entrevues dans les plis illusionnistes de sa peinture abstraite. Et encore aujourd'hui ses compositions sont un assemblage de prélèvements fragmentaires captés furtivement ça et là dans le monde visible.
Après le bois découpé, les châssis ronds, plus orthodoxes, ont logiquement fait leur apparition. La forme ronde s’est également introduite dans les dessins et les estampes qui servent de collages un peu partout dans les tableaux, les dessins et sur les couvertures des carnets de dessin. Quand je demande à Scanreigh s'il a quelque chose à ajouter sur le sujet, il répond oui, mais en attendant, ce qui lui revient, c'est que les châssis ronds sont faciles à rouler dans l'atelier tel le jeu de cerceau de nos grands-mères !
En 1993, les peintures sur bois ont retenu l’attention de Claudine Lustman pour la troisième exposition personnelle de Scanreigh, Palettes et Tondi, dans sa galerie rue Quincampoix à Paris. Seize ans plus tard, c’est le conservateur Pascal Trarieux qui imagine une exposition exclusivement sur le thème du tondo au Musée des Beaux- Arts de Nîmes.
En 2017, Claude Lemand grand collectionneur, et amateur de tondos entre autres, en a exposé dans sa galerie parisienne. Il en possède six dont un qu’il a présenté en tant que curateur de la grande exposition collective Tour du monde en tondo au Musée Saint-Roch d’Issoudun.
(Le lecteur aura remarqué le pluriel "tondos" au lieu de "tondi" ; je préfère ce pluriel moins cuistre qui se dit spontanément à l’oral comme ont dit «un scénario/des scénarios». Les gardiens du dictionnaire finiront bien par suivre l’usage… et typographiquement avec leurs deux "O", les tondos plaident eux-mêmes pour cette solution). F.B.
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Pour finir une citation de Pascal Quignard issue de l'ouvrage "Tondo" d'après des tondi (!) de Pierre Skira. Flammarion, 2002
Mire est la cible
Le tondo ne permet pas de multiplier les lignes de fuite.
Il concentre l'espace qu'il perfore. Rétrécissant le visible, il empêche de prendre ses distances à l'intérieur de ce qu'il excave.
Il immobilise celui qui voit.
On aperçoit ce bout de pupille à partir de laquelle le cercle prend axe. Il ferme l'angle. Il prépare sa giration.
La forme que se mit à peindre Pierre Skira en 2001 commença son aspiration.
Devint vertigineuse.
Alors les livres tournent comme des astres à partir de ce bout de peau, de paupière, de prépuce retroussé.
Le rond, quant aux archers, on le nommait la cible.