L’histoire de Scanreigh avec le bois commence très sagement et très classiquement quand au début des années 80, il s'intéresse aux techniques de l’estampe, la plus ancienne étant celle du bois qu’on grave pour imprimer du papier. Plus surprenant, c’est ce qui se passe après dans l’atelier de Villefranche-sur-Saône, vaste espace que l’industriel et mécène Gilles Blanckaert a généreusement mis a sa disposition dans l'immense usine partiellement occupée par son entreprise. Un ami savoyard a même cru bon y faire livrer du bois pour une sculpture. Scanreigh va trouver plus intéressant le bois des palettes de manutention qui trainent un peu partout dans l'usine. Il a l’idée de les démonter, de les restructurer en formes diverses et de les peindre. Il y fixera même d’anciennes matrices qui ont servi a imprimer des estampes. Il a également transformé en tableaux des casses en bois utilisés par les typographes à l'époque des caractères en plomb.
Plus insolite est le livre d’artiste en bois que nous avons créé ensemble a partir de fantômes. En l'occurrence il s’agit de ces pièces de bois qui dans les bibliothèques ont la mission de remplacer un livre momentanément absent des rayonnages. Au milieu des années 90, Scanreigh avait récupéré des fantômes dont la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon se débarrassait, l'informatisation les ayant rendus caduques. Nous en avons fait des livres d’artiste, ravis d’en renvoyer quelques exemplaires occuper une place non simulée dans les bibliothèques
Alors dessiner sur du bois dans ce contexte n’a rien de surprenant. Encore une fois, il s'agit d'un sauvetage. A l’école des Beaux-Arts de Nîmes, des planchettes en bois utilisées comme sous-main à la prise de notes par les étudiants allaient être remplacées – jetées – parce que trop gribouillées de graffitis. Ces planchettes ont tapé dans l’œil de Scanreigh qui les a récupérées. Il a vu dans leurs enjolivements sauvages une invitation à intervenir. Jouant lui-même souvent du palimpseste dans ses tableaux et ses dessins, il a entrepris de parachever l’habillage des planchettes à sa manière. Aux amusants délires graphiques des étudiants, spirituels, obscènes, virtuoses ou frustres, il a ajouté sa griffe et des touches de gouache, ennoblissant la plus modeste et la plus universellement partagée des pulsions au dessin : le griffonnage.
Pourquoi avoir appelé ces dessins « squiggle » ? J'ai proposé ce terme à Scanreigh parce qu'il fait référence au psychanalyste et pédiatre anglais Donald Winnicot, à qui on doit, soit dit en passant, la notion géniale de good enough mother (= assez bonne mère), et dont j'ai découvert qu'il est aussi l’inventeur d’un jeu thérapeutique qu’il appelait squiggle (= gribouillis) basé sur le griffonnage, ce qui lui permettait de mieux cerner le psychisme de ses jeunes patients.
Certaines inscriptions sont vraiment amusantes. On retrouve ainsi dans une planchette ce rappel martelé sans doute avec insistance par le professeur en histoire de l'art : "Donatello qui n'est pas une tortue Ninja".
Après avoir commencé les Squiggles en 2010, Scanreigh a récupéré une nouvelle série de planchettes en 2015. Les étudiants n'étant pas dupes de ce qu'il allait en faire, l'un d'entre eux le fait savoir en griffonnant sur sa planchette : "Bonjour Monsieur Scanreigh ! "-"A recouvrir Mr Scan".
Un catalogue a été édité en 2011, qu'on peut consulter ici : Un Livre intitulé l'Avaleur avalé par Armand Dupuy est sorti en 2017 aux éditions Le Réalgar, un récit très personnel écrit d'après une série de squiggles, l'auteur jouant volontairement le jeu inventé par Winnicot en se laissant pénétrer par les étranges présences des planchettes de Scanreigh qui réactivent en lui tout un passé de souvenirs et de sensations très intimes.. Le tirage de tête de ce livre est accompagné de mini-squiggles au format du livre.