Chaine, Lyon 1985, Carnet à Spirale. Couverture avec logo Dalbe, 11 feuilles, 11 dessins à l'encre, 38 x 46 cm [C 1985-85 01]
Le texte qui suit – Dessins in carnets – a été écrit par Scanreigh avec ma collaboration dans une première version en 2001, parue dans Passion privée n°8/2001, un bulletin d’information de la Bibliothèque de La Part-Dieu de Lyon. Il offrait un éclairage au don de 12719 dessins et 182 carnets apporté par Scanreigh au Fonds Michel Chomarat de la bibliothèque. En 2002, une nouvelle version est parue aux éditions Cardinaux à Châtellerault [ISSN : 1263-9222], accompagnée de vignettes dans le texte et d’un dessin en couverture. Il en existe 200 exemplaires dont quinze accompagnés d’une linogravure originale. C'est cette version qui est reprise ici avec quelques légères coupures et mises à jour.
Dessins in carnets
Matière première [...] Ce que je qualifie de "carnets" sont en fait d’étranges reliques, ce sont des recueils de poésie, des livres de dédicaces, des carnets de comptes, des partitions de musique, des cahiers d’école, presque toujours inachevés, un mélange de pages couvertes d’écritures anciennes et de pages vierges. L’inachèvement les a sans doute sauvés de la destruction. Ils sont souvent solidement reliés et leurs calligraphies anciennes sont émouvantes. Cela ne m’empêche pas d’être sans pitié pour elles, de tout recouvrir d’un impérialisme scriptural sans aucun scrupule ou presque. Pour cela j’utilise tout ce qui trace, tache, coule, encres de chine et de couleur, aquarelle, stylos, plumes, pinceaux, crayons et calames, en passant par tous les gris, noirs, sépias, par tous les camaïeux et tous les contrastes sur tous les styles de papier, du plus désinvolte au plus chic, neuf ou abîmé, du sublime papier XVIIIe au tout rouillé du XIXe … et l’infini gamme des ordinaires du XXe.
De vocation en vocation Le carnet de dessin est l’attribut intemporel des artistes, presque un genre en soi, bien que peu exposé et commercialisé en tant tel. Mes premiers carnets, au début des années 70, sont du genre discret, de type « préparatoire », remplis de tampons soigneusement apposés, page après page, des recherches de structures pour mes peintures. Un peu trop prémédités, trop propres, trop convenus mais déjà des carnets "de voyage", même si le voyage est minuscule, un "Voyage autour de votre chambre" à l’instar d’un Xavier de Maistre, lu il y a longtemps sans me laisser grand souvenir. Quant au "Voyage où il vous plaira", il est toujours dans ma bibliothèque, le frontispice de Tony Johannot et la vignette en face de la page 84 m’émerveillent toujours autant, mais ai-je lu le texte ? Un carnet de dessin, c’est aussi un carnet de notes. Textes et images, plutôt images et quelques rares notes, souvent la liste de choses à faire ou le pense-bête pour le supermarché. Et puis aussi des brouillons pour des textes, Picasso, Willem et d’autres…[...]
Rieur bleu, Bloc à spirale Arches, du 27 juillet au 8 août 2008, 19 feuilles, 19 dessins et un collage en couverture, crayons de couleurs, encre de chine, fusain, 29,7 x 21 cm, [C 2008-08 43]
Ce que je considère comme mes véritables premiers carnets de dessins sont contemporains d’une époque où je fais table rase d’une certaine orthopédie du trait ; fini les tampons, les exercices géométriques ! C’est le début des années 80, j’ai envie de « dessiner », de figurer des choses, des êtres et mes carnets traduisent l’angoisse de la transition. Tout se cherche, les outils, le trait et moi aussi. Cela prend du temps et tout ne passe pas forcément par les carnets ; j’ai le souvenir d’une pile de vieux papier à lettres des "Etablissements Giron-Frères" à Saint-Étienne, une sorte de précurseur des recueils recherchés plus tard aux puces et chez les bouquinistes.
Le dessin de train Avec l’obligation de prendre souvent le train, j’ai aussi pris l’habitude de dessiner pendant les trajets. Un atelier à Villefranche, des cours à Besançon, un appartement à Lyon, j’exploite le temps pris par mes déplacements, quasiment tous mes déplacements, car je n’ai pas de voiture. Voici donc un temps dédié à la lecture, à la rêverie, à la sieste et au dessin. Dans des carnets, bien sûr ! L’exercice du carnet devient régulier ; la pile impressionnante que les deux bouquinistes m’ont trouvé demande maintenant à être remplie, c’est devenu une obligation ! Comme si je le leur devais. [...]
Captations Alors, c’est sur une bonne vieille table de travail, chez moi, que ça marche le mieux. Bien installé, je coince devant moi des revues et plus généralement d’encombrants livres de photos, rapportés de la Bibliothèque de la Part-Dieu, à deux pas. J’en épuise consciencieusement tous les rayons et tous les sujets : guerres, misères, portraits terribles ou mondains, photos de mode, voyages exotiques, photos de films. Pendant longtemps, j’utilisais des catalogues de gravures, ceux du XVIe siècle avaient ma prédilection, puis j’ai été saturé de ce "déjà dessiné" et de sa virtuosité. Maintenant, je préfère à ce passé gravé prestigieux et inhibant, une technique cousine plus moderne, la reproduction photographique. Le dessin d’après photo me procure la sensation de capter la chose qui a retenu un œil qui n’est pas le mien tout en me laissant libre de retenir le détail insignifiant ou accidentel qui m’intéresse : tel geste, telle attitude, tel regard, souvent une grimace, un enchevêtrement de corps. Pour une exposition de dessins érotiques, j’ai trouvé quantité de modèles idoines et je les ai traités avec la même humeur sélective. Si le recours à la photographie est un grand classique en art, je le suis peut-être un peu moins dans ma manière d’y recourir. Je suis un consommateur très superficiel, extrêmement gaspilleur, mille photos pour quelques dessins. Je feuillette vite, un coup d’œil suffit pour savoir si quelque chose alimentera mon dessin ou non. La première amorce d’après le document élu est angoissante et angoissée. Je suis en recherche, ces coups de crayon ou de plume ne sont pas forcément à la hauteur de mon regard ; les "carnets de démarrage" ne sont pas séduisants.
Moplegor, Bloc à spirale avec papier préparé, du 22 février au 6 mars 2010, 25 feuilles, 25 dessins et un en couverture, Sanguine et pointe d'argent, aquarelle, 29,7 x 21 cm [C 2010-10 12]
D’un carnet, l’autre Je reprends le geste des premières esquisses sur d’autres carnets. L’angoisse disparaît. Dessiner d’après mes propres dessins est alors une détente, un geste libéré et presque heureux. Le plaisir de la copie ? Oui, mais peut-être au risque de perdre l’authenticité des premiers jets et de faire des carnets d’après les carnets des sortes de faux. Et puis non, car la reprise des dessins initiaux, bien que de plus en plus déliés au fil des répétitions, n’est pas une mise au net. C’est l’absorption d’un point d’origine par une interprétation graphique qui impose impérieusement sa propre réalité. Dans ma manière de transcrire des images, je ne cherche pas à comprendre le sens voulu par les auteurs des photos, ni le sens plastique, ni le contexte écrit. J’aurais même tendance à m’en abstraire. Les carnets enregistrent des impulsions données par des images avec leurs légendes implicites ou explicites dans une suite de quiproquos graphiques plutôt intentionnels. On ne peut même pas parler de détournement. Tout finit par m’appartenir. J’y mets mon actualité, les romans, les biographies d’artistes que je suis en train de lire, l’air du temps, le quotidien le plus banal. Les carnets font ainsi l’historique de ce que je capte dans le regard de l’autre, de ce que j’en abandonne (presque tout), de ce que j’y greffe. Cette accumulation de stades et de phases me fournit des modèles inédits qui attendent à leur tour leur réemploi. Des dessins de mes carnets je fais alors des assemblages agrandis, sur des papiers de grand format et des plus grands encore quand je passe à l’échelle du tableau. Je les peins et tout se transforme à nouveau… avec toujours cette crainte de perdre la vérité et l’angoisse originelle sans parler du sentiment dérangeant d’être en train de faire un produit à exposer ou à vendre.
Gaston Renouard, Album de 1853 reliure avec gaufrage, du 23 mai au 21 juillet 2011, 60 feuilles, 60 dessins, encre, sanguine et crayons 15,5 x 24 cm, [C 2011-11 27]
Plans d’évacuation Je me suis demandé si mes carnets devaient rester des secrets de laboratoire. Des objets à ne pas montrer… ou à entrouvrir seulement de temps à autre. Savoir aussi par qui et pour qui ? Je me suis demandé s’il fallait les jeter parce qu’ils sentent trop la fabrique, le corpus testamentaire, le grain à moudre pour exégètes. J’ai peur aussi d’un mausolée de papier qui envahirait mon espace et m’empêcherait de travailler. Car je dois reconnaître que les carnets s’inactivent peu à peu. D’outils qu’ils étaient ils finissent par faire tapisserie dans mes rayonnages. Avec leurs dos émiettés, leurs couvertures poussiéreuses et tachées, ils pourraient bien redevenir "brocante ". Par chance j’ai trouvé à mes carnets de nouveaux refuges, des havres d’une grande bienveillance [...]. L’un se trouve à la Bibliothèque de la Part Dieu de Lyon dans le fonds Michel Chomarat, un autre près de Montpellier à la Fondation Fata Morgana et plus récemment à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg.
Fronton, bloc à spirale noir, du 16 juin au 30 juillet 2008, 56 feuilles, 56 dessins et un collage en couverture, crayon noir, crayons de couleurs, 21 x 14,8 cm [C 2008-08 09]
Vases communicants Les carnets partis, la place libérée dans mes rayonnages ne restera pas vide. Retour aux livres ! Il arrive ainsi que mes carnets de dessins ressurgissent sous la forme d’une édition… Harpo &, La Main courante, Baby Lone, Voix, Fata Morgana, etc. Elles prennent place aux côtés de leurs semblables et même très semblables : je veux parler de mes livres d’artiste si proches par leur forme et leurs contenus. Leur iconographie doit presque tout aux carnets qui les ont précédés et accompagnés dans leur élaboration. Un catalogue raisonné de ces livres, publié en 2004 par les éditions Michel Chomarat à Lyon en témoigne. Depuis que les livres d’artiste existent, il arrive comme je l’ai dit, qu’ils me servent de monnaie d’échange dans le circuit de la bouquinerie. J’y obtiens, sur le mode inédit de la "retrouvaille", ces vieux carnets habités avec qui s’instaure, presque avec obstination, le dialogue de nos vivifiantes chimères.
Escuela, Album du XIXe siècle, Couverture cartonnée avec dessin sur gouache, du 24 juillet 2006 au 24 juin 2012, 34 feuilles, 33 dessins, technique mixte, 15 x 22cm [C 2006-12 01] Cabinet d'Arts Graphiques, Genève
Salon Chic Dessin à Paris en 2011 : la galerie Couturier de Lyon expose des grands dessins de Scanreigh et les accompagne pour la première fois d’une présentation "massive" de carnets de dessin. Pas moins de cent !
Le livre des N, Ouvrage de José Luis Castillejo, Reliure avec collage, du 27 juin 2014 au 13 juin 2015, 197 feuilles, 197 dessins, sanguine, fusain, encre et crayons, 27,5 x 16 cm [C 2014-15 01] Collection particulière
Carnets exposés à la galerie Metamorphik, Sainte-Foy-les-Lyon, 2016
Aristotelis, Livre manuscrit. XVIIe siècle probable, couverture en vélin, du 22 mai 2012 au 4 décembre 2013, 290 feuilles, 289 dessins, sanguine, fusain, encre, crayons, 19,5 x 13 cm [C 2012-13 03] Bibliothèque de l’Arsenal, Paris
Avec Jean-Etienne Huret (✝︎) dans sa librairie rue de la Pompe à Paris (16e) en 2017 lors d'une présentation des carnets et livres d'artiste de Scanreigh [cf photo en tête de l'article]. Dans son ancienne librairie-galerie "Nicaise", boulevard Saiint-Germain, Jean-Etienne Huret avait consacré à Scanreigh deux exposions de livres, carnets, estampes et tableaux, respectivement en 2005 et 2006.
Stand du marchand "Actualités", Salon Bibliomania, Réfectoire des Cordeliers, Paris 6e en 2023. Daniel Azoulay vend aussi des livres, des dessins et des peintures de Scanreigh dans son espace au 15 rue Gay-Lussac depuis 2022. "Actualités" est le seul lieu à Paris à proposer en permanence les carnets de dessins.
Grand livre des Extractions, La Lyonnaise Société anonyme des vidanges, 25 octobre 2005 - 6 janvier 2012, Livre de comptes sous reliure brun clair et toile verte avec collages de bois gravés, 405 feuilles, 405 dessins, crayons à papier, crayons de couleurs, crayon Conté, encre, gouache…., 50 x 36 cm, 12 kg [C 2005-12 01]