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2025-06-02

Voir et revoir

Voir et revoir

Chaque nouveau projet d’exposition ravive une impression récurrente à propos de la perception changeante des œuvres qu’on voit naitre et exister dans l'atelier. Rien à voir avec la vision de substitution qu’offrent les clones imparfaits de la reproduction imprimée ou numérique. Ou celle du noir et blanc des revues et des catalogues plus anciens qui frustraient les yeux. Même les meilleures éditions arboraient souvent d’indéchiffrables reproductions charbonneuses et radinaient sur la couleur. Ne parlons pas de l’épreuve qu'inflige aux yeux la photo amateur, d’avant le smartphone, avec ses trouées de flash, son jaunissement  prématuré ou encore l'éphémère polaroid immuablement calamiteux. En ce qui nous concerne, les rares interventions de photographes professionnels au temps de l’argentique peinaient à réconforter notre vision malgré les fins réglages de leur Hasselblad ou de leur chambre.

Rien à voir non plus avec la perception avisée de l’amateur qui pousse la porte des galeries et des musées, non, il s’agit de la vision bien particulière de l’artiste lui-même sur ce qu’il fait quand il le fait et plus encore ce que voit le premier cercle des proches qui connait l’espace de l’atelier. Dans ce lieu, un tableau est d’abord une chose en devenir calée contre un mur maculé de présences antérieures, dégoulinantes et parasitantes,  à quoi s’ajoute, une fois fini, la cohabitation contrainte avec d’autres tableaux qui se volent mutuellement la vedette. D’une manière générale l’excès de proximité créé d’injustes concurrences, c’est fatigant, ça empêche de voir.

L’entrée en scène du galeriste qui vient faire un choix a quelque chose de soulageant. Voilà quelqu’un qui vient mettre un peu d’ordre dans la bigarrure de l’atelier  : il extrait,  isole et projette déjà ses élus sur ses propres murs. Et pour l’artiste et son entourage qui découvrent ensuite l’accrochage, il y a une sorte de révélation : une alternative à la vision première. Littéralement, on voit du jamais vu.

Et le phénomène se reproduit de manière plus émouvante  encore quand il nous est donné de photographier des œuvres in situ chez des collectionneurs ou qu’eux-mêmes nous envoient la photo de leur acquisition installée dans un environnement harmonieusement pensé. Là encore il y a un effet révélateur. C’est l’aboutissement d’une trajectoire, une vision-mission accomplie…